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Textes
samedi, 30 septembre 2017
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Vincent Bergerat.
L’œuvre de Vincent Bergerat résume la nature, elle est la nature même de l’art, cet entre-deux dans lequel il s’immisce. Elle oscille entre paysage naturel et nature humaine à travers une pensée élaborée avec précision dont la distance constitue le fondement. Photographie, sculpture, écriture, tous les médiums possibles sont mis en œuvre par l’artiste pour construire un va et vient constant entre présence féminine et paysage avec toujours cette même obsession du fantôme comme parfaite métaphore de la dialectique présence/absence. Cette analogie entre nature et modèle féminin à la présence fragile tente désespérément de déjouer l’indicible et obscur objet du désir. La série « Bride « (mariée, en anglais) est à ce titre exemplaire, reprenant l’analogie populaire entre le voile de la mariée et la cascade pour l’expérimenter dans une démarche quasi exhaustive : aller trouver toutes les cascades d’une région précise, que l’on considère comme « sienne » ; se poster en face et convoquer l’apparition. La qualité de l’apparition change étrangement dans la série « la Présence » qui rassemble des femmes à la chevelure en cascade démesurée. « La chienne » ou « le poulpe » touchent cette fois à l’animalité, aussi bien dans le jeu de la pose et de la mise en scène, que dans la contrainte de cette longueur de cheveux hors-norme qui renvoie à une image très archaïque de la femme, voire à une autre espèce. V.B emprunte à la peinture sa tradition du grotesque, c’est-à-dire du mélange entre espèces et formes qui tire son origine de plusieurs grottes où l’on découvrit au XVe siècle, des figures romaines peintes qui passaient d’une forme végétale à une forme animale puis humaine. « On nomma désormais grotesques les arts qui mêlaient les différents règnes naturels ou sociaux et transgressaient les catégories admises de la sensibilité et de la pensée ; des arts qui mélangeaient les genres, alliant l’humain et l’animal, la laideur et la beauté, la vieillesse et la jeunesse, la santé et la maladie – mais opérant toujours de tels mélanges au nom de la vie, ou plutôt au nom d’une nature qui, contrairement aux doctrines religieuses, fait triompher la vie de la mort. »*
*Histoires grotesques et sérieuses. Introduction, Edgar A. POE.
La présence augmentée.
(A propos de Salade d’oiseaux mystère, une exposition de Vincent Bergerat.) Dans une espèce de fouillis végétal, des créatures émergent par intermittence. Le regard les cherche sous le feuillage, tantôt dérouté par leur comportement énigmatique, tantôt inquiet de leur disparition. Parfois, le feuillage donne l’impression de devenir lui-même une créature qui absorbe et qui rejette tour à tour de minuscules êtres humains. L’attention oscille et hésite : doit-elle suivre le mouvement des petites créatures qui apparaissent ou celui de la végétation qui les cache ? La vidéo « Salade d’oiseaux mystère » ne fait pas que cohabiter avec une demi douzaine de ses oeuvres, elle absorbe les sujets que Vincent Bergerat aime particulièrement travailler et qui sont traités dans chacune des pièces de cette exposition : le souvenir, l’oubli, la présence. Et parce qu’il pense qu’une idée ne va jamais seule, pure, isolée, mais qu’au contraire une idée abrite non seulement du composite, mais appâte toujours d’autres idées qui elles-mêmes rassemblent des choses disparates, il ne faut pas s’étonner qu’il ait appelé tout cela salade. Vincent Bergerat cherche. Il cherche une forme perdue ou un fantôme dans une forme, il cherche la forme d’un moment insaisissable, le moment de l’effusion. Il cherche à fixer la forme de ce moment qui apparaît presque miraculeusement dans des choses apparemment sans rapport les unes avec les autres, par exemple dans cette cascade ou dans ces portraits de femmes aux cheveux si longs. Il cherche des révélations et puis aussi, il cherche à fixer ces révélations — ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Il fait les deux à la fois et il a besoin de la répétition et de l’excès pour cela, pour que ce qui lui a été révélé si fugitivement dure, s’installe, s’étale jusqu’à déborder. Avec les images des femmes aux cheveux longs, il fait déborder la présence. Des cheveux longs peuvent sublimer la présence d’une femme, comme un écrin, mais poussé à l’extrême ce principe bascule et c’est l’inverse qui apparaît : les cheveux interminables fabriquent une nouvelle présence, la présence spéciale de l’effusion, et cette présence est dérangeante parce qu’elle n’est pas faite pour être regardée indéfiniment ainsi mais seulement entraperçue. L’artiste signale ici la dialectique tragique de la présence : à force d’augmenter, la présence finit par se cacher derrière elle-même. Enfin, avec ses sculptures en coquilles d’huîtres, Vincent Bergerat désire témoigner de son intérêt pour l’oubli. L’oubli non pas comme une disparition, mais comme un processus d’altération matérielle de la présence ou du souvenir. Il s’inspire de la façon dont l’huître travaille l’oubli, quand elle enveloppe de milliers de couches de nacre le grain de sable qui la perturbe. Le grain ne disparaît pas, au contraire, il grossit à mesure que l’huître fait de cette perturbation un élément de sa propre matière en l’incorporant en elle. Avec Miette, Museau et Casque, ses sculptures réalisées en coquilles d’huîtres (autrement dit en souvenirs d’huîtres), l’artiste suscite une question un peu effrontée : si le devoir de mémoire existe, pourquoi ne pas défendre aussi le travail de l’oubli ?
A. Florentin