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Ils vécurent heureux…

C’est lors de son séjour d’un an dans le Midwest en 2004 (Columbus, Ohio) que Carlos Aires prend brutalement conscience, comme tant d’autres expatriés, du rôle central joué par l’ordinateur dans notre gestion quotidienne de l’information et de la communication. Messages, chats, forums, presse en ligne, albums photos, recherche, divertissement : tout finit d’une manière ou d’une autre par échouer sur l’écran de son portable. Le paradoxe de l’Internet (ou sa richesse, selon la manière dont on envisage la question) réside dans sa capacité à fournir au même moment l’information et les moyens de la disséquer. Et de constater le gouffre qui sépare parfois (souvent ?) les données de leurs sources – par exemple, entre l’article vantant les mérites des soldats américains au combat, et la vidéo clandestine mise en ligne par un marines, qui révèle dans toute sa crudité la réalité de la guerre en Irak . Pour Carlos Aires, derrière chaque vérité sur laquelle se fonde l’Histoire officielle, se cache une autre vérité ; derrière chaque gagnant un perdant, derrière chaque prince de conte de fées, un nain. Regroupées sous le titre générique Happily Ever After (ils vécurent heureux…), ces grandes photographies résument parfaitement son propos : tandis que chacun se persuade que ces personnes de petite taille se sont travesties pour l’occasion alors qu’il n’en n’est rien (elles ne font qu’afficher leur statut social, leur profession), nul ne remarque que le « faux » réside dans le décorum, ces cadres noirs et pesants, en réalité moulés par l’artiste dans une résine plastique. Au-delà de l’hommage teinté d’ironie aux maîtres espagnols du XVIIe siècle, la série questionne notre capacité à manipuler les stéréotypes et à séparer le vrai du faux – et souligne l’ambiguïté de l’encadrement, symbole bourgeois par excellence, mais toujours exclu des livres de l’Histoire officielle de l’Art. Les faux trophées de chasse, en plastique également et qui portent la signature de leur auteur, s’inscrivent dans la même démarche – à moins qu’il ne s’agisse d’une allusion à l’expression ¡ cabrón ! … dont la traduction varie sensiblement selon le contexte. Toujours pour la série Happily Ever After, Carlos Aires effectue, de nuit et avec une très longue pause, des photographies de parcs connus pour abriter les rendez-vous de la communauté gay ; le résultat est une transfiguration totale de ces lieux perçus comme sordides par certains, en un décor de film fantastique pour tous. Au départ de ce constat selon lequel il existe toujours plusieurs réalités visibles, Carlos Aires s’est interrogé sur la manière dont les aveugles de naissance pouvaient les percevoir. Il a dans un premier temps effectué une compilation de très courtes vidéos, toutes liées par leur thématique à la mort ou à la guerre ; certaines d’entre elles proviennent de l’Internet, mises en ligne à la limite de la légalité par leurs protagonistes directs – telles ces images tournées par les militaires américains en Irak. Mais Carlos Aires les a brouillées au point de les rendre quasi indescriptibles par les « voyants » - d’où le titre : Cataracte. Dans la version finale, ces séquences sont entrecoupées par des commentaires d’aveugles de naissance, qui livrent leur témoignage sur la mort, la violence, ou plutôt : sur « l’image » qu’ils s’en font. Plus complexe dans leur rapport au réseau sont les peintures sur panneau, à la feuille d’or, telles des icône contemporaines sur triplex. Les images sont tirées de pages de rencontre sur l’Internet, où chacun est libre de se dissimuler sous la forme qui lui convient : son chien, ou le déguisement de Captain America. Carlos Aires adjoint à chaque tableau un commentaire audio, celui-là même qui est intégré par l’utilisateur à la page Web. Une constellation d’inconnus se dessine sur le mur : un monument doré à la solitude et aux rencontres virtuelles. Autre monument, celui composé d’immenses couteaux (ces objets existent donc en dehors des films d’horreur ?), sur lesquels sont gravés les images découpées dans des photographies d’archive, tandis que la matrice évidée leur fait face. Que signifie un personnage suspendu dans le vide, s’il n’est replacé dans le contexte de sa chute mortelle ? Un enfant agitant un drapeau, tiré du défilé nazi auquel il participe ? Un personnage agenouillé, si le four crématoire sur lequel il se penche a disparu ? Une fois de plus, Carlos Aires joue sur le vu, le non vu et le suggéré. Le même principe, appliqué à la culture pop, donne des disques vinyle (de préférence des musiques « love and dance ») découpés selon un procédé numérique pour adopter des formes tirées d’images de catastrophes ou pornographiques. Avec, quand même, un happy end (en l’occurrence, un happy begining) : tandis que Mister Hyde I, tourné en infrarouge, mêle dans la plus grande ambiguïté des images de backrooms et celles très familiales de baraques foraines (genre maison des horreurs), Mister Hyde III se compose de scènes au ralenti de retrouvailles dans un aéroport : filmés au plus près, les protagonistes ne perçoivent à aucun moment la caméra qui les filment – ou peut-être, au plus fort de leurs effusions, dans l’un des rares endroits publics où ce genre de choses est encore admis, choisissent-ils de ne pas la voir ? Chez Carlos, bar à nains Malgré son enseigne lumineuse en forme de signature d’artiste, le nom officiel du bar « Aires » est : Alter Ego - ce qui éclaire la démarche de son fondateur, mais demande quelques explications. Car à force de travailler avec des gens de petite taille, se pose naturellement la question de leur rapport avec le reste du monde au quotidien ; sur cette base, Carlos Aires a développé son bar comme métaphore ironique de sa relation à la sphère de l’art contemporain, ses critiques, commissaires, collectionneurs et galeristes, devant lesquels il convient de s’agenouiller pour recevoir l’approbation… Ainsi le visiteur, accroupi devant le barman nain peut-il expérimenter, le temps d’une coupe de champagne espagnol, l’humilité requise par l’artiste pour attirer l’attention sur son oeuvre. Ou simplement le plaisir de boire un verre pour oublier tout ça.

Pierre-Yves Desaive


They lived happily …

It was during his one-year stay in the Midwest in 2004 (Columbus, Ohio) that Carlos Aires suddenly became aware, like so many other expatriates, of the central role played by the computer in our everyday management of information and communication. Messages, chats, forums, online press, photo albums, research and entertainment : everything ended up in one way or another on the screen of his portable. The paradox of the Internet (or its richness, depending on how you look at it) lies in its ability to provide, at the same time, information and the means to dissect it. And a chance to notice the gulf which sometimes (often ?) separates data from their sources – for instance, the gulf the article boasting of the merits of American soldiers in combat and the clandestine video placed online by a marine which reveals the crude reality of the war in Iraq (we will come back to this). According to Carlos Aires, behind every truth on which official history is based is another kind of truth ; behind every winner is a loser, and behind every fairytale prince is a dwarf. Under the generic title Happily Ever After, these great photographs summarise his outlook perfectly : while everybody is convinced that these small persons are disguised for the occasion, even though this is not true (they are simply displaying their social status and profession), nobody notices that the “fake” side is the décor, these heavy black frames which in fact were moulded by the artist from plastic resin. Apart from the irony-tinged homage to the Spanish 17th century masters, the series questions our ability to manipulate stereotypes and to separate the real from the fake – and underlines the ambiguity of the frames, the bourgeois symbol par excellence which is always excluded from official art history book. The fake hunting trophies, also made from plastic, which carry the signature of the author, form part of the same approach – unless this is an allusion to the expression ¡ cabrón !, the translation of which varies considerably depending on the context. Still in relation to the Happily Ever After series, Carlos Aires took lingering photographs at night of parks known as meeting places for the gay community. The result is a complete transfiguration of these places regarded as sordid by some and as the setting for fantasy films by all. Based on the observation that there are always several visible realities, Carlos Aires wondered about the way in which those born blind can perceive them. First he produced a compilation of very short videos all linked by the theme of death or war. Some come from the Internet, placed online almost illegally by the direct protagonists – such as the images filmed by American soldiers in Iraq. But Carlos Aires has blurred them to the extent that they are almost indescribable to those who can see : hence the title Cataract. In the final version, these sequences are peppered with comments by people born blind who deliver their experiences of death and violence or, rather, the “image” they have of this.

The panel paintings using goldleaf, like contemporary icons on triplex, are more complex in terms of their relationship to the net. The images are drawn from Internet chatrooms where each person can hide behind whatever name he wishes : his dog or the disguise of Captain America. Carlos Aires adds an audio comment to each painting, the one incorporated by the user into the web page. The result is a constellation of strangers on the wall : a golden monument to solitude and virtual encounters.

Another monument, one consisting of huge knives (so these objects do exist outside horror films ?), on which images cut from archive photographs are engraved, while the empty matrix faces them. What is the meaning of a character suspended in space, if he cannot be placed in the context of a fatal fall ? Of a child waving a flag, if he is removed from the Nazi parade he is taking part in ? Of a person kneeling, if the crematorium oven over which he is leaning has disappeared ? Once again, Carlos Aires plays with what you can see, what you cannot see and what is suggested. The same principle applied to pop culture produces vinyl records (preferably “love and dance” music) cut out using a digital process to adopt shapes drawn from mages of disasters or pornography.

With, all the same, a happy ending (in this case, a happy beginning) : while Mister Hyde I, shot in infrared, combines very ambiguously images of backrooms and very familiar views of fairground stalls (like those in a horror film), Mister Hyde III consists of slow-motion scenes of reunions at an airport : filmed very close-up, the protagonists do not notice at any time the camera filming them – or perhaps in the midst of their emotion, in one of the few public places where this kind of thing is still accepted, they choose not to see it ?

Chez Carlos, the dwarfs’ bar Despite the neon sign in the form of an artist’s signature, the official name of the “Aires” bar is Alter Ego – which throws some light on the founder’s approach, but requires a few explanations. By dint of working with small people, the question naturally arises as to their relationship with the rest of the world in everyday life : on this basis, Carlos Aires developed his bar as an ironic metaphor for his relationship with the contemporary art world, the critics, curators, collectors and gallery owners, before whom you must kneel to receive approval… thus the visitors, bending down before the dwarf barman, can feel, during the time it takes them to drink a glass of Spanish champagne, the humility required by an artist to draw attention to his work. Or simply the pleasure of having a drink to forget all about it.

Pierre-Yves Desaive




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