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Textes / Texts
samedi, 30 septembre 2017
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Charley Case a étudié à l’école de la Cambre (École Nationale Supérieure des Arts Visuels - Bruxelles), illustré des textes de Tahar Ben Jelloun et du quotidien Le Soir... Dessinateur, illustrateur, photographe et cinéaste, Charley Case est un de ces artistes au sens plein du terme, aventureux et polyvalent. Il serait vain de chercher à l’inscrire dans une quelconque mouvance ou filiation contemporaine, l’homme est libre et son travail unique. La qualité de son trait et la poésie de ses images suffisent à en prouver la valeur.
De retour de l’un de ses voyages, Charley Case a ramené, enfermé dans son ventre, un serpent. Serait-ce la Kundalini ? Enroulée au bas de la colonne vertébrale, cette formidable réserve d’énergie est capable d’activer la conscience en un éclair. Voilà pour le décor, mais que l’on se rassure : nul besoin de maîtriser la nomenclature hindouiste ou bouddhiste pour pénétrer l’univers riche et protéiforme de l’artiste. Charley Case n’a rien d’un théoricien new age : ses références à la culture séculaire de l’Inde sont toujours adroitement nuancées avec humour et légèreté.
Ainsi le parasite, qui lui est finalement sorti par le bas du corps, a-t-il pris la forme d’un serpentin lumineux (« Le retour »). Ailleurs, il confère à des recherches antérieures une nouvelle énergie : un personnage aux bras et jambes écartés, inspiré du célèbre dessin de Léonard de Vinci et qui servi naguère à l’élaboration d’un inquiétant motif de grillage humain, est réinterprété de multiples manières en symbole énergétique et géométrique. Le serpent unit l’espace de bas en haut : au sommet de l’escalier, l’artiste a réalisé un « Vortex galactique » - de la terre déposée en cercles concentriques sur la verrière, qui produit l’effet d’une immense radiographie. La roue (chakra en sanskrit) est omniprésente dans son travail, à l’image de l’immense peinture murale qui accueille le visiteur : cette spirale composée d’une multitude d’humanoïdes qui sont la marque de l’artiste, confère au mur de nouvelles dimensions, symboliques et imaginaires. Dans une tentative réussie de renouvellement d’un genre vénérable, Charley Case a également produit deux tondi, envahis par la même foule de personnages débridés.(.....)
L’ unité retrouvée a pour image la sphère ; dans cette optique, « Antenna Siesta » concentre en elle tout le sens de son travail. Issue en droite ligne de la désormais célèbre « Nemawashi Cacahuète », l’installation se compose d’une demi sphère en matière synthétique rigide et translucide, à laquelle sont associés neufs petits films projetés en un bloc rectangulaire de trois sur trois. Tandis que la cacahuète incitait à se mouvoir dans sa forme organique, « Antenna Siesta » invite au ressourcement par l’immobilité. Assis en tailleur, ou lové en position foetale, le spectateur se retrouve très exactement entre terre et ciel, dans un environnement sonore déformé. Tout le malheur des hommes ne vient-il pas de leur incapacité à savoir demeurer en repos, dans une sphère ? Placée dans l’espace public (les Galeries de la Reine à Bruxelles), « Antenna siesta » a suscité des réactions très diverses, enregistrées par une caméra discrète fixée à la verticale, dont les images se retrouvent parmi les neufs films projetés. Diogène, dont la sagesse n’était sans doute pas étrangère à la vie dans un habitat circulaire, y côtoie des égoutiers sortant de terre, ou encore le jeune fils de l’artiste filmé peu après sa naissance à travers un globe déformant. Le montage, qui n’a d’aléatoire que l’apparence, fait correspondre les images d’un cobra dans son panier avec celles de la demi sphère occupée par un visiteur.
L’idée de couple traverse ces derniers travaux, davantage pour évoquer la complémentarité (aussi problématique soit-elle parfois) que la dualité. Dans « Pi au Carré », la caméra saisit les doigts de deux pianistes, homme et femme, durant leur exécution d’une sonate à quatre mains de Rachmaninov : chacun se donne entièrement à l’oeuvre commune, tout en restant dans son propre monde – la fusion se créant par la musique. Cette complémentarité se retrouve dans les innombrables dessins et aquarelles exécutés par Charley en collaboration avec sa compagne Ana : au départ, des taches informes qu’elle dépose sur le papier, il élabore des images tour à tour amusantes ou inquiétantes. La dimension quasi psychanalytique, voire thérapeutique, du geste, est éloquente. Les séries ainsi réalisées sont répertoriées par l’artiste comme « oracles » dans lesquels se lisent au présent composé le passé et l’avenir.
Fidèle à ses habitudes, Charley Case a multiplié les collaborations avec artistes ou techniciens. Ainsi l’un des « oracles » fera-t-il l’objet d’une version électronique accessible sur le réseau. Mais l’échange le plus spectaculaire est sans conteste celui qui a débouché sur la réalisation avec le peintre Robert Quint d’un imposant triptyque titré « Zeitenbummler », le baladeur du temps. Directement inspirés par le « Jardins des Délices » de Jérôme Bosch, les trois tableaux développent une iconographie complexe où le fleuve du Paradis pourrait évoquer le Gange. Les participants à la trance party figurée dans la partie supérieure semblent curieusement voués à l’Enfer : l’intégration d’une interprétation par Charley Case de la « Chute d’Icare » de Brueghel doit-elle être lue comme un avertissement à l’attention de ceux qui voleraient trop près du soleil ?
L’on rejoint ici la thématique développée dans un petit film tourné en super 8 dans des couleurs psychédéliques, où un Sadhou qui se charge de faire goûter les spécialités hallucinogènes locales aux voyageurs de passage, joue avec un crâne humain fiché sur un pieu. Ailleurs, la mort elle-même, saisie d’un fou rire irrépressible, semble pour de bon coincée dans un trip qui pourrait s’avérer fatal. « En-transe » : c’est le titre du livre-portfolio composé de 24 lithographies et de sept films, accompagné de poèmes d’Emmanuèle Sandron. L’ouvrage, édité par Bruno Robbe, bénéficie ici d’une présentation spécifique.
Traditionnellement perçu comme le refuge des cérémonies chamaniques, le « Babel tepee » planté dans la galerie par Charley Case est indirectement lié à Bosch et à Breughel, dans son évocation d’un thème cher aux deux peintres. Emportés dans leur course effrénée pour parvenir au sommet, les humains figurés sur la toile se transforment peu à peu en une masse informe ; leur chute inévitable, peinte à l’intérieur, apparaît en transparence. Le salut se trouve dans l’instant présent, empreint de magie, que l’artiste traque inlassablement dans ses photographies : le porteur de nuage, le plongeur figé dans l’instant tandis que son corps se fait sphère, le bouddha sans tête derrière lequel se cache l’enfant.
Pierre-Yves Desaive
ENGLISH TEXT :
Back from one of his trips abroad, Charley Case has brought a snake with him, enclosed in his stomach. Could it be the Kundalini ? Wrapped around the base of his spinal cord, this formidable source of energy is capable of activating the conscience in a flash. That is the background, but rest assured : there is no need to master the Hindu or Buddhist nomenclature in order to penetrate the artist’s rich and protean world. Charley Case is by no means a New Age theoretician : his references to the secular culture of India are always skilfully blended with humour and fun. For instance, the parasite, which in the end exited through his lower body, took on the form of a luminous snake (“The return”).
Additionally, he instils new energy into previous research : a character with arms and legs spread, based on the famous drawing by Leonardo da Vinci, which he used formerly to produce a troubling human roasting, is reinterpreted in many different ways, as a symbol of energy and geometry. The snake unites the space from bottom to top : at the top of the staircase, the artist has produced a “Galactic Vortex” – earth deposited in concentric circles on glass, giving the effect of a huge x-ray. The wheel (chakra in Sanskrit) is found throughout the exhibition, for instance the immense wall painting which greets visitors : this spiral consisting of a multitude of humanoids, the signature of the artist, imbues the wall with new symbolic and imaginary dimensions. In a successful attempt to renew a venerable genre, Charley Case has also produced two tondi, awash with the same crowd of unrestrained characters. (....) “When the past and future disappear, the present can be fully embraced”. The image of this newly-found unity is the sphere. From this point of view, “Antenna Siesta” embodies the whole meaning of the exhibition. A direct descendant of the now famous “ Nemawashi Cacahuète”, the installation consists of a semi-sphere made from a rigid, translucent synthetic material combined with nine short films projected onto a rectangular block, three by three. While the peanut encouraged people to move within its organic form, “Antenna Siesta” invites them to renew their strength through immobility. Seated cross-legged or curled up in the foetal position, spectators find themselves in a place between heaven and earth, where the sound is deformed. Does not all the unhappiness of people come from their inability to remain at rest, in a sphere ? Placed in a public arena (the Galeries de la Reine in Brussels), “Antenna siesta” has aroused very different reactions, recorded by a discrete camera attached vertically, whose images are part of the nine films projected. Diogenes, whose wisdom was probably not unconnected with life in a circular habitat, is seen alongside sewer workers coming out of the earth, and the artist’s young son, filmed shortly after his birth through a deforming globe. The editing, which is random in appearance only, manages to correspond the images of a cobra in its basket with that of the semi-sphere occupied by a visitor.
The idea of the couple permeates his last works more to evoke complementarity (however problematic this may be sometimes) than duality. In “Pi au Carré”, the camera focuses on the fingers of two pianists, a man and woman, during their performance of a Rachmaninov four-hand sonata : they both devote themselves entirely to the common performance while remaining in their separate worlds – the fusion is created via the music. This complementarity can be found in a number of drawings and watercolours produced by Charley in collaboration with his partner, Ana : from the formless stains she deposits on the paper at the start, he produces images that are sometimes amusing, sometimes troubling. The quasi-psychoanalytical or even therapeutic dimension of the gesture speaks volumes. The series produced in this way are described by the artist as “oracles” in which the present consists of the past and future.
Faithful to his habits, Charley Case collaborated on a number of works with other artists and technicians. One of the “oracles” will be turned into an electronic version, accessible online. But the most spectacular collaboration is without question the exchange with the painter Robert Quint which resulted in an impressive triptych entitled “Zeitenbummler”, the inter-temporal stroller. Directly inspired by Hieronymus Bosch’s “The Garden of Earthly Delights”, the three paintings develop a complex iconography where the river of Paradise might possibly evoke the Ganges. The participants in the trance party featured on the upper part appear curiously to be destined for Hell : should the inclusion of the interpretation by Charley Case of Brueghel’s “Fall of Icarus” be seen as a warning to those who fly too close to the sun ?
The same theme is developed in a short film filmed in super 8 using psychedelic colours, where a Sadhu, in charge of ensuring that passers-by sample local hallucinogenic specialities, is playing with a human skull attached to a picket. Elsewhere, death itself, in the grip of an irrepressible fit of giggles, appears to be trapped forever in a trip that could prove fatal. “En-transe” : that is the title of the book-portfolio consisting of 24 lithographs and seven films, accompanied by poems by Emmanuèle Sandron. Published by Bruno Robbe, the book enjoys a special presentation here.
Traditionally seen as the refuge for shaman ceremonies, the “Babel tepee” planted in the gallery by Charley Case is indirectly linked to Bosch and Brueghel in its evocation of a theme dear to both painters. Carried along by their frantic race to reach the summit, the humans on the canvas gradually turn into a shapeless mass. Their inevitable fall, painted inside, can be seen through the canvas on the outside. Salvation is to be found in the present moment, tinged with magic, which the artist tirelessly pursues in his photographs : the cloud-carrier, the diver frozen in the instant in which his body becomes a sphere, and the child hiding behind the headless Buddha.
Pierre-Yves Desaive